Tenir

Tenir en main une cuillère,

en éprouver le poids, la forme, la position.

Faire épreuve et faire acte

d’une banalité qui rend son détachement,

détachement qui tient et se perd dans l’écriture,

incertain.

La sensation intraduisible d’être tout entier dans cet empoignement.

Ne tenir qu’une cuillère et porter bien plus.

Un acte de contraste et de paradoxe, qui relie les deux mots ;

intense simplicité, contingente ontologie.

Son poids, extérieur, fait peser plus lourd la présence. 

Des lignes et matières organiques qui appartiennent à ce qui me fait corps

croisent les lignes dessinées, fonctionnelles.

La fonction s’égare au profit du présent.

Ce qui devrait advenir demeure en suspens,

utilité inusité,

ou plutôt arrêtée un instant.

Toute une vie dans ce geste sans nécessité,

conscience altérée par l’arrêt,

par l’inconséquence,

par une densité qu’elle ne doit qu’à elle-même.

Il s’agit non pas tant de la sensation que de l’acte

de tenir autant que de voir qui forme une singularité.

Voir et tenir font conscience et non l’état qui s’en saisit.